Capsule 1.83

Camille Farrah
Buhler

Capsule 1.83

28.04 — 20.05.23
Vernissage: 

jeudi 27 avril dès 16h

Dark Bimbo, 2023

 

Se produire à neuf contre un État qui fait de tant de gueules un délit. Délit de gueules jamais assez blanches, assez ou trop homme, trop ou assez femme, pour se voir constituer en bon sujet. Et si cette gueule était belle à vous en crever les yeux ? Le fard comme réponse à l’insistance des regards. Over and over, l’artiste et designer de mode Camille Farrah Buhler se saisit de tout ce qui habille nos apparences pour en sonder l’éthique.
Pour cette capsule, Farrah Buhler s’est tournée du côté de la bimbo. Son corps, comme l’écrit Stan van Rompaey dans Notes on Bimbos and Bodybuilders, "relies on absurdity; deliberately, they honour their body and equally honour its demolition (1)." L’artiste s’empare de sa capacité à anéantir avec care un corps politique malgré lui et à engager sa refonte en un corps désiré politique. Voilà la bimbo égérie de rituels qui résistent, refusent, assouvissent une vengeance qui se porte à défaut de la voir se réaliser.

La bimbo constitue donc le template. Le fard est ici feutre : des épaulettes de tailleurs sont converties en des hanches extra larges. La bimbo en question est vêtue de cuir, noir, de celui qui habille la face vampirique des années 2000. « Dark Bimbo is the Vampy Aesthetic Set to Take Over in 2023. Think: 90s Angelina (2) » lit-on dans la presse fashion. Elle est le pendant with brains de la bimbo en rose, diront ceux qui sous-estiment les qualités de stratèges de la femme-Barbie. On préfère désormais la translucide Morticia Adams au corps certes blanc mais trop spray tanned d’une Paris.

Bimboifiée, hanches de feutre et bustier amovibles, Farrah Buhler endosse le rôle à leur place, personnalisant le corps inerte des mannequins qui habitent les vitrines. L’accessoirisation comme le filtre qui grossit ses lèvres, lisse sa peau et élève ses pommettes, disent l’ambivalence de l’artiste face à des corps qu’il ne suffit pas d’élever en modèle de résistance pour que se matérialisent des horizons désirables. Pour Farrah Buhler, le cuir - matière récurrente dans ses travaux - rappelle que nous ne sommes pas touxtes libres de nous dérober à ce que l’on fait de nous. La bimbofication et son éthique – « (1) self-preserving dissociation from society, (2) the performance of willful ignorance as a means of protection (3)». – ne peuvent offrir qu’un répit à court terme.

L’artiste s’interroge donc sur ce qu’il reste de politique dans les fibres et pigments qui font nos apparences à l’heure où le style est la force motrice d’un capitalisme que l’on dit artistique (4). Elle guette et glane dans le flux de nos contenus les images qui le demeurent, ou le sont malgré elles. À la manière d’un slogan, elle les transfère à même le vêtement. Elle se retrouve ainsi dans les mots de Louisa Yousfi :

Cette désinvolture dans le glanage des références, d’aucuns l’interprètent comme une soumission à la logique commerciale. Toute cette “merde”, cette sous-culture dans laquelle le rap contemporain fait son marché serait une déliquescence du genre, désormais réduit à divertir quand il était né pour porter la grandeur d’un geste revendicatif. Et alors? pourrait rétorquer l’accusé (5).

Camille Farrah Buhler fait du strass, du bling, de la pop culture un guet-apens ; rapprochez-vous suffisamment et le « et alors ? » vous sautera à la gorge. Puis reculez, et vous sera tendu un miroir. Se donner à voir et faire voir en retour, renvoyer le gaze à son point d’origine, c’est dans ce ping pong des regards que se déploie la mode politique que l’artiste excave.

Aude Fellay, 2023

 

 

1 « Le corps de la bimbo repose sur l'absurdité ; délibérément, elle honore son corps et honore également sa démolition ». Stan Van Rompaey, Notes on Bimbos and Bodybuilders, A Heterotopic Inquiry Into Camp, Belgium, 2022.
2 « Dark Bimbo est l'esthétique vampirique qui s'impose en 2023. Pensez à l'Angelina des années 90 »
3 « (1) la dissociation de la société pour se préserver, (2) la pratique de l'ignorance volontaire comme moyen de protection ». Skylar Mitchel,« What is the “Black Bimbo” Aesthetic », https://girlsunited.essence.com/article/black-bimbo/
4 Crash redaction, « On artistic Capitalism by Gilles Lipovestky crash 65 »,
http://www.crash.fr/on-artistic-capitalism-by-gilles-lipovetsky-crash-65/
5 Louisa Yousfi, Rester Barbare, Paris, La Fabrique Éditions, 2022, p. 78.

 

Avec le soutien de Pro-Helvetia

Horaires: 

24/ 7 depuis le passage des Halles de l'île