Sense Of Wonder

Tami
Ichino

Sense Of Wonder

04.06 — 26.06.10

Les gardiens de la représentation La difficulté souvent soulignée d’une description picturale tient à ce qu’elle se donne pour tâche de rendre compte de ce qui échappe à l’emprise des mots. Mais si elle ne déroge pas à son ambition c’est qu’elle tient que la peinture est articulée au corps et à la langue ; que l’affect esthétique est semblable à un mot qui se cherche, à un pressentiment du dire. « Ce que je ne peux dire je le peins ». Ce qui ne revient pas à considérer – idée fumeuse – que la peinture vient suppléer un défaut d’expression. La peinture de Tami Ichino désigne, avec légèreté et sans mainmise, des choses qui ne sont pas encore des objets, des choses flottantes qui apparaissent fugitivement dans une brume colorée de la pigmentation, qu’aucune signification ne parvient à fixer, ni à investir d’une charge symbolique pleine, et qui pour cela demeure comme en attente de réponse. Cet entre-temps (qui est aussi une chicane du sens) peut être celui de l’émerveillement comme celui de la phobie. De là vient parfois cet effet de charme ou de panique devant ce que l’on ne sait nommer, juste désigner. En somme, devant une tache (sur un mur ou dans un nuage) Tami Ichino refuse la leçon du maître : elle refuse de lui donner un nom et se garde bien de reconnaître un quelconque objet de désir, ou d’identification dans ce qu’elle voit. Elle montre plutôt que le désir est fuyant, que l’identification s’effeuille et se déplace, que ces objets ne font qu’emprunter des formes changeantes, qu’une fois saisis ils s’abîment ; qu’il faut, autrement dit, ruser avec les formes. Cet art exige délicatesse et finesse. Singulièrement lorsqu’il s’agit de dompter ou de dresser jusqu’à la domestication des bêtes hybrides, de séduire ou de charmer des monstres fantasques, de gagner les faveurs de chimères grotesques, d’attirer hors de leur garde toutes sortes de gargouilles lubriques, que figurent tour-à-tour ces gardiens de l’invisible. Ne suffit-il pas de relever qu’ils ont été promus sujet de la représentation (d’où leur aspect fardé et maquillé), là où habituellement ils en occupent les bords, retranchés dans les recoins des édifices, accrochés aux larmiers, ou relégués (au point de s’y confondre) aux côtés des ornementations ? Et de constater aussi que leur frimousse grimaçante n’inspire plus aucune crainte ? Certes ils continuent de marquer un seuil, de procurer une consistance à une frontière fragile entre le merveilleux et le terrifiant. Mais ce qu’ils gardent et regardent tout à la fois ne fait pas l’objet de la représentation. On ne trouvera donc ici aucune exhibition des tréfonds inaccessibles, ni exhumation de trésors enfouis, ni déballage de secret : aucune lumière crûment jetée sur l’obscur. Seule la posture de ces figures (détachées du mur) intéresse ses tableaux sans fond. Seule cette garde nous arrête et nous retient. Ces gardiens de la représentation, qui restent ambigus dans leur position rapprochée (recentrée, frontale, symétrique), n’en continuent pas moins à nous tenir en respect. Ils assurent une garde montée de l’intime, une chasse gardée de l’intimité ; une défense qui n’est pas sans violence contenue dans la protection, qui est de l’ordre d’une intimidation. Cette intimidation nous rappelle à ce seuil, elle nous ramène à cet arrêt où il faut répondre, tel au sphinx, moins peut-être à l’énigme que de l’énigme. C’est que le monstre se tait sur ce qu’il montre. Il ne nomme pas l’homme, fût-ce de manière détournée. Il le dénomme comme il en affiche la défiguration. Et surtout il n’attend pas – et c’est sans doute là son trait le plus étrange – que l’autre (celui qui voudrait franchir le seuil, passer la frontière) le nomme à sa place. Damien Guggenheim avec le soutien du FMAC _ Genève